Fantaisies Hoffmaniennes
Définition.
Fantaisies musicales : pièces musicales de forme libre.
Fantaisies littéraires : oeuvres dans lesquelles l’auteur donne libre cours à son imagination.
Ersnt Theodor Wilhelm Hoffmann nait à Königsberg en 1776.
Juriste de formation, hanté par la musique (il aurait remplacé son dernier prénom par Amadeus par admiration pour Mozart), il compose des opéras, dessine, peint et à partir de 1808, devenu « chef de musique » à Bamberg, occupe les postes de metteur en scène, chef d’orchestre, décorateur et librettiste.
Egalement professeur de musique et de chant, il tombe passionnément amoureux d’une de ses élèves, Julia Mark. Elle a treize ans, il est marié et en a trente-quatre.
La femme-enfant l’obsède, son amour le pousse au désespoir, il boit de plus en plus et se met à l’écriture - Julia Mark hante son oeuvre, de L’Homme au sable au Conseiller Krespel en passant par Les Aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre, Le Vase d’or ou Princesse Brambilla.
En 1814 la publication de ses Fantasiestücke in Callots Manier le rend célèbre et il consacre alors les huit années qui lui restent à vivre à l’écriture de contes, nouvelles et romans.
Même s’il n’est pas à proprement parler l’inventeur du fantastique puisqu’il ne fait que poursuivre l’oeuvre d’auteurs comme Chamisso, Arnim, Tieck ou d’autres, Hoffmann est considéré comme tel ou tout du moins comme celui qui le fait découvrir au grand public. Ses écrits font quelques timides apparitions en France vers 1828 sous la plume de critiques littéraires, et sont finalement révélés au grand public à partir de 1829 avec la traduction de ses oeuvres par Loève-Veimars.
Ses nouvelles et romans révolutionnent la littérature du début du xixe siècle. Gautier, Balzac, Nerval, Janin et un grand nombre d’auteurs mineurs l’imitent et s’en inspirent. Mais le succès d’Hoffmann ne se limite pas qu’à la France et l’oeuvre d’écrivains tels que Gogol, Washington Irving, E.A. Poe, Dostoïevski et de nombreux autres est également profondément marquée et transformée par ce genre nouveau.
Il restera le maître du fantastique jusqu’à l’apparition en France, dans les années 1850, de l’oeuvre d’Edgar Allan Poe.
Il meurt le 25 juin 1822 à Berlin, épuisé et ruiné par l’alcool.
« Hoffmann, mort à Berlin il y a quelques années, a écrit des nouvelles qui ne ressemblent à rien. Je ne connais aucun ouvrage où le bizarre et le vrai, le touchant et l’effroyable, le monstrueux et le burlesque, se heurtent de manière plus forte, plus vive, plus inattendue ; aucun ouvrage qui, à la première lecture, vous saisisse et trouble davantage.
Concevez une imagination vigoureuse et un esprit parfaitement clair, une amère mélancolie et une verve intarissable de bouffonnerie et d’extravagance ; supposez un homme qui dessine d’une main ferme les figures les plus fantastiques, qui rende présentes par la netteté du récit et la vérité des détails les scènes les plus étranges, qui fasse à la fois frissonner, rêver et rire, enfin qui compose comme Callot, invente comme Les Mille et une nuits, raconte comme W. Scott, et vous aurez une idée d’Hoffmann.
[…] Il est un ordre de faits placés sur les limites de l’extraordinaire et de l’impossible, de ces faits comme presque tout le monde en a quelques-uns à raconter, et qui font dire, dans des moments d’épanchements : Il m’est arrivé quelque chose de bien étrange. N’y a-t-il pas les songes, les pressentiments que l’événement a vérifiés, les sympathies, les fascinations, certaines rencontres singulières, certaines impressions indéfinissables ? Hoffmann excelle à faire entrer ces choses dans ses étonnants récits ; il tire un parti prodigieux de la folie, de tout ce qui lui ressemble, des idées fixes, des manies, des dispositions bizarres de tout genre que développe l’exaltation de l’âme ou certain dérangement de l’organisation. La liaison même du récit, son allure simple et naturelle, a quelque chose d’effrayant qui rappelle le délire tranquille et sérieux des fous. Du sein de ces événements, qui ressemblent à ceux de tous les jours, sortent, on ne sait comment, le bizarre et le terrible. Ils vous enveloppent peu à peu : le récit marche, toujours clair et bien enchaîné ; mais on sent au fond quelque chose de mystérieux et de menaçant. Enfin, la terreur et le délire, le pathétique et le grotesque, l’ironie et la volupté, entrent de tout côté sur la scène, et produisent par leur mélange un épouvantable vertige. En résumé, les compositions d’Hoffmann semblent tantôt des souvenirs du sabbat, tantôt des caricatures de Bedlam tracées dans un moment de gaieté par le bouffon du diable. »
Hoffmann, article de J.J. Ampère in Le Globe, 2 août 1828.
« Nous sommes libres ; à nous tout l’Univers, à nous les plus belles aventures du monde. […] Montrez-moi l’homme qui n’a jamais rêvé tout debout, l’homme qui n’a jamais fait son roman. Celui-là ne goûtera pas Hoffmann. Quant à nous, gens de la foule, qui avons tous eu nos songes et nos rêveries, vogue, vogue l’imagination du conteur ! Où qu’il nous mène, ce sera bien ; car, pour nous embarquer avec lui, il nous a promis, non de nous faire réfléchir et raisonner, mais de nous faire faire de beaux rêves.
Vous souvenez-vous de quelque soirée passée au coin du feu, je ne dis pas dans quelque vieux château ou dans quelque auberge déserte ; cela sent l’homme qui amène son merveilleux, et qui montre la corde avant de faire jouer sa lanterne magique ; je dis une soirée passée dans votre chambre, au quatrième étage, sur Saint-Jacques ou rue Saint-Denis, où vous voudrez : vous êtes assis dans un grand fauteuil, les pieds sur les chenets ; près de vous votre table de travail ; sur un tabouret votre chien ou votre chat ; vos chaises rangées à leur place ordinaire ; vos rideaux fermés ; dans l’alcôve, votre lit déjà prêt et la couverture faite ; dans les chambres voisines, vous entendez aller et venir les gens de la maison, dans la rue, rouler les voitures ; partout enfin vous êtes entourés de choses et de bruits qui vous rappellent la vie de famille, le monde, la civilisation. Où la fantaisie pourrait-elle trouver à se nicher ? Où va-t-elle se placer ? Où ? sous votre bonnet de coton même que vous venez d’enfoncer sur vos deux oreilles en vous mettant au lit. C’est là qu’elle s’établit pour troubler vos idées et fasciner vos regards. Voyez, voici déjà dans votre feu des images de toutes sortes de choses, des maisons, des châteaux, des clochers étincelants qui grandissent, grandissent à vue d’oeil, puis des pétillements singuliers ; vous levez les yeux au plafond ; quels bizarres reflets, ou plutôt quelles figures étranges y flottent entrelacées ! Comme tout tremble et s’agite dans votre chambre ; et là-bas, dans ce coin, près de ce meuble qu’on ne dérange jamais, il y a, est-ce une erreur, une illusion ? non, il y a quelque chose qui brille : ce sont comme deux yeux ! ils vous regardent ! Chut. Vous entendez marcher ! c’est un bruit de pas !...
Je vous laisse sauter à bas de votre lit, si vous êtes hardi, ou vous cacher la tête sous votre couverture, si vous êtes peureux ; qu’il nous suffise seulement de savoir que ces illusions et ces terreurs de la nuit, à côté d’une scène de ménage, c’est là un des genres de récits d’Hoffmann. Le merveilleux à côté de la vie bourgeoise ; des fantômes, des sylphes, à côté d’étudiants et de boutiquiers ; les plus gracieux mystères du monde fantastique, à côté des routines et du commérage des petites gens : voilà le contraste qu’Hoffmann excelle à représenter. Il a un talent singulier pour découvrir le merveilleux où nous le soupçonnons le moins : il lui suffit d’un mot, d’une circonstance indifférente, pour éveiller notre imagination : tout ce que nous gardons, en dépit de la raison, de penchants crédules, de dispositions peureuses, de sentiments superstitieux, le frissonnement involontaire que nous éprouvons à traverser, le soir, une forêt, un cimetière, à visiter des ruines, la rêverie où nous jette, pendant la nuit, le son lointain d’une musique, ou l’aspect d’un lac tranquille, tout ce qui enfin est du ressort de l’imagination : tout cela est le domaine d’Hoffmann. »
Choix de Contes, Nouvelles et Fantaisies d’Hoffmann,
article de Saint-Marc de Girardin in Journal des Débats, 17 juillet 1829.
Florian Balduc
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Billet De Fantasmagoriana aux Fantaisies Hoffmaniennes
Billet Fantastique vernien : d'Hoffmann à Méduse
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