Land beyond the forest
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Emily Gerard

Le Pays par-delà la forêt

L’écrivain Emily Gerard (1849-1905), auteur de nouvelles et de romans, est l’épouse d’un officier de l’armée austro-hongroise avec qui elle parcourt l’Europe. De 1883 à 1885 le Chevalier Mieczislas de Laszowski est en poste en Transylvanie. Elle mène alors des recherches sur l’histoire et le folklore de la région.

En juillet 1885 elle publie dans le Nineteenth century un article intitulé « Transylvanian Superstitions »1. L’article est ensuite repris et intégré à son ouvrage Le Pays par-delà la forêt2. Cet article, puis cet ouvrage, sont les premiers à mentionner les superstitions de la Transylvanie, son folklore, ses croyances, méthodes de protection, démons, sorciers et autres dragons.

Bram Stoker, effectuant des recherches pour son Dracula3, lit l’article d’Emily Gerard et y puise un certain nombre d’informations parmi lesquelles le terme nosferatu qui apparait ici pour la première fois en anglais, ainsi que l’évocation ou explication de la Scholomance ou école des démons. La version qu’en donne E. Gerard ne se base que sur un récit rapporté mais la légende de cette école existe bel et bien au dix-neuvième siècle en Transylvanie. En 1897, le spécialiste R.C. Maclagan en livre, dans la revue Folk-Lore, une description un peu plus détaillée :

« Le Drac ou diable en personne, enseigne à certaines personnes la magie et la sorcellerie dans une école cachée sous la terre. Un élève sur huit y reçoit un enseignement qui dure quatorze ans et, à son retour à la surface, il a les pouvoirs suivants. A l’aide de certaines formules magiques il commande à un dragon tapi dans les profondeurs d’un lac et le fait venir à lui. Il lui met les rênes dorées qu’on lui a données et le chevauche alors, parcourant les nuages, qu’il transforme en glace, faisant ainsi naître la grêle. […] »4

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Extraits

Puisque j’en suis aux orages, je peux également mentionner la scholomance, ou école, supposée exister quelque part au coeur des montagnes, et où les secrets de la nature, le langage des animaux, et tous les sorts sont enseignés par le diable en personne. Seulement dix élèves sont admis à la fois et lorsque leur enseignement est achevé, et que neuf d’entre eux sont autorisés à retourner chez eux, le dixième élève est gardé par le diable en guise de paiement et, monté sur un ismeju, ou dragon, il devient alors l’aide de camp du diable et l’assiste dans sa « fabrication du temps » – c’est-à-dire la préparation des éclairs.
Un petit lac, d’une profondeur inconnue, au sommet des montagnes au sud de Hermanstadt, est censé être le chaudron dans lequel est brassé le tonnerre, sous les eaux duquel, par beau temps, le dragon se repose. Les paysans roumains mettent en garde le voyageur de ne surtout pas jeter de pierres dans ce lac, car cela réveillerait le dragon et provoquerait un orage. Ce n’est cependant pas qu’une simple superstition car l’été des orages y éclatent presque tous les jours, et sur les berges de nombreux cairns attestent qu’un certain nombre de personnes y ont été tuées par la foudre. Pour cette raison ce lieu est traditionnellement évité, et aucun vrai Roumain ne s’y aventurerait vers midi. [...]

L’esprit du mal – ou pour parler plus simplement le diable ou le démon – joue un rôle très important dans le code roumain des superstitions, et des noms tels que Gaura Draculuj5 (le trou du diable), Gregyna Draculuj (le jardin du diable), Jadu Draculuj (l’abysse du diable), souvent liés à des rochers, cavernes et sommets, prouvent que ces gens se croient entourés de toutes parts de légions d’esprits malins. Ces démons sont en outre assistés de ismejus (une autre sorte de dragon), sorcières et gobelins et ces êtres dangereux se voient chacun dotés de pouvoirs particuliers en certains jours et en certains lieux. Les Roumains usent donc de nombreuses et curieuses méthodes pour contrer ces néfastes influences ; et un enseignement des plus pointus, presque aussi laborieux que l’étude d’une langue étrangère, est nécessaire au simple paysan pour apprendre à éviter les dangers dont il se croit de toutes parts entouré. L’élevage d’une vache semble aussi ardu que celui d’une « gazelle », et le bien–être d’un simple navet ou d’une pomme de terre aussi précaire que celui de la plus fragile des plantes exotiques. [...]

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En dehors de l’histoire du monastère d’Argisch dont j’ai parlé dans un précédent chapitre, beaucoup d’autres légendes roumaines racontent comment chaque nouvelle église ou bâtiment d’importance devenait une tombe, car on pensait qu’il était indispensable à la stabilité de l’édifice d’y emmurer vivant un homme ou une femme dont l’esprit ainsi piégé hanterait les lieux. Plus tard, les gens étant devenus moins cruels, ou plus certainement parce qu’il était moins aisé de commettre un meurtre, cette coutume subit quelques transformations et il devint courant, à la place d’un être vivant, d’emmurer son ombre. Pour ce faire, on mesurait l’ombre d’une personne à l’aide d’une longue corde, ou d’un ruban confectionné de brins de roseau attachés ensemble, et on emmurait cette mesure de la personne qui, victime inconsciente du sort qu’on venait de lui jeter, allait dépérir et mourir sous quarante jours. Mais pour que cela fonctionne il fallait que la victime choisie soit totalement ignorante du rôle qu’elle jouait, c’est pour cette raison que certains passants criaient parfois le long des chantiers, « Prenez garde qu’ils ne prennent pas votre ombre ! » Cette superstition est si profondément ancrée qu’il n’y a pas si longtemps on rencontrait encore des marchands d’ombres professionnels, qui fournissaient aux architectes les victimes nécessaires à la sûreté de leurs murs. « Evidemment celui dont l’ombre est emmurée va mourir », explique un Roumain, « mais comme il ignore sa malédiction, il ne ressent ni douleur ni inquiétude, c’est donc moins cruel que d’emmurer un homme vivant. »
La légende de la forteresse de Deva, en Transylvanie, est similaire à celle du monastère d’Arghisch.6 Douze architectes commencèrent à bâtir cette forteresse en échange de 13 kilos d’argent et 6 kilos d’or. Ils se mirent au travail mais tout ce qu’ils érigeaient s’effondrait chaque jour avant le coucher du soleil, et ce qu’ils construisaient dans la nuit était en ruine au matin. Ils se réunirent pour savoir ce qu’il fallait faire pour renforcer la construction ; et il fut décidé d’enlever la première de leurs femmes qui viendrait rendre visite, de la brûler vive, et de mélanger ses cendres au mortier utilisé pour la construction.
Peu de temps après la femme de Kelemen, l’architecte en chef, souhaitant rendre visite à son mari, demanda qu’on prépare sa voiture. En route, elle fut prise dans un violent orage, et le cocher, vieux serviteur de la famille, la mit en garde, lui conseillant de ne pas continuer sa route, car il avait fait un rêve prémonitoire la concernant. Malgré cela, elle insista pour continuer et fut bientôt en vue de la forteresse. En la voyant, son mari pria Dieu pour que la voiture se brise ou que les chevaux se mettent à boiter afin de retarder son arrivée ; mais ce fut en vain, et la voiture atteignit bientôt sa destination. Le mari éploré révéla à sa femme le terrible sort qui l’attendait, auquel elle se résigna, demandant simplement à pouvoir dire adieu à son jeune fils et à ses amis. Cette faveur lui fut accordée et, revenant le jour suivant, elle fut brûlée.
Ses cendres mélangées au mortier renforcèrent les murs ; la construction fut achevée, et les architectes obtinrent le salaire élevé qu’ils avaient demandé.
Le malheureux veuf, rentrant chez lui, fut questionné par son fils qui souhaitait savoir où sa mère demeurait si longtemps. Le père, tout d’abord évasif, avoua finalement et son fils, apprenant la vérité, tomba mort, le coeur brisé.
A Hermanstadt on nous montre aussi dans le mur de la vieille ville l’endroit où un étudiant vivant, habillé d’un ampel et d’un toga, le costume du temps, fut emmuré, afin de « faire solide » la muraille. [...]

De terribles épidémies comme la peste, le choléra, etc. seraient dues à un esprit appelé le dschuma, auquel on donne soit la forme d’une vieille sorcière édentée, soit d’une vierge féroce, qui ne peut être apaisée que par le don d’un vêtement quelconque. Elle serait le plus souvent nue et, souffrant du froid, on peut entendre sa complainte la nuit, réclamant en hurlant des vêtements lorsque l’épidémie est à son paroxysme. Quand les habitants d’un village entendent son cri, ils s’empressent d’obéir et préparent les vêtements demandés. Jusqu’à sept vieilles femmes peuvent parfois filer, tisser et coudre, sans dire un mot, une chemise écarlate en une seule nuit ; d’autres fois les jeunes filles font des habits qu’elles accrochent à l’entrée du village contaminé. M. Paget se rappelle qu’il vit un jour un pantalon de grosse toile suspendu à une corde en travers de sa route, et que, se renseignant sur ce vêtement, on lui répondit qu’il était là pour calmer l’esprit du choléra. [...]

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Le corps doit être lavé immédiatement après la mort, et si nécessaire la crasse doit être grattée à l’aide d’un couteau, car le mort aura plus de chance d’être bien reçu là–haut par le Créateur s’il est présentable. Puis il est vêtu de ses plus beaux habits, en prenant grand soin que rien ne soit attaché à l’aide d’un noeud, car cela troublerait son repos en le maintenant lié à la terre. Il faut également s’assurer qu’il n’emporte avec lui aucun morceau de fer, tels que boutons, clous de bottes, etc. car cela l’empêcherait à coup sûr d’atteindre le Paradis, la route y menant étant longue et ponctuée de nombreux passages ou bacs. Afin que l’âme puisse les franchir, une pièce de monnaie doit être déposée dans la main, sous l’oreiller, ou sous la langue du cadavre. Dans la région de Forgaras, où il est censé y avoir au total vingt–cinq de ces bacs ou passages, les cheveux du défunt sont divisés en autant de tresses, et une pièce est accrochée à chacune d’elle. Une petite provision d’aiguilles, d’épingles, du fil, etc. doivent également être placés dans le cercueil afin que le pèlerin puisse en chemin réparer les accrocs faits à ses vêtements. [...]

Une autre classe de sorciers, les wettermacher (« faiseurs de temps »), sont ceux qui ont le pouvoir d’appeler le tonnerre ou la grêle ou de les faire cesser.
Ma vieille oracle me raconta l’histoire d’un homme qu’elle avait connu, qui parcourait le pays avec un petit sac noir dans lequel il avait un livre, un petit bâton et quelques herbes. Dès qu’un orage se préparait, on pouvait le voir monter sur un promontoire et répéter ses formules contre les nuages. « Les gens l’insultaient », dit-elle, « et disaient qu’il était de mèche avec le diable ; mais je ne l’ai jamais vu faire de mal à personne, et maintenant qu’il est mort beaucoup le regrettent, car depuis qu’il n’est plus nous avons eu des orages de grêle plus violents que jamais auparavant. »7 [...]

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1 - The Nineteenth century, a monthly review, Henry S. King Paul, London, 1885, vol xviii, pp 130-150.
2 - The Land beyond the forest, facts, figures and fancies from Transylvania, Emily Gerard, Harper, New York, 1888.
3 - Paru en 1897.
4 - Folk-lore, A quarterly review, London, 1897, volume 8, p. 238.
5 - Dracu, qui en roumain sert à désigner le diable ou démon, signifie en réalité dragon ; le mot démon n’ayant pas d’équivalent exact en Roumain. – Un écrivain, parlant des Roumains, fait remarquer qu’ils jurent sur le dragon, ce qui donne à leurs serments un étrange aspect d’irréalité.
6 - Ancienne légende roumaine qui conte l’histoire du Cloître d’Arghisch, identique à celle-ci.
7- Les histoires de « faiseurs de temps » sont courantes aussi en Allemagne. On nous dit qu’il y a longtemps vivait à Suabia un pasteur connu pour ses talents d’exorciste du temps, et dès qu’un orage approchait il se mettait à sa fenêtre et invoquait les nuages jusqu’à ce qu’il ait disparu. Mais la tâche était ardue, et le pasteur était souvent si exténué après avoir chassé un orage que de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front.

Florian Balduc

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